publizida.es

lunes, 29 de octubre de 2007

Y a-t-il un général birman réformateur ?

par Sylvie Kauffmann
LE MONDE

Le 18 octobre 2004, le chef du renseignement militaire birman, le général Khin Nyunt, accessoirement aussi premier ministre et numéro trois de la junte au pouvoir, venait d'arriver à l'aéroport de Mandalay, deuxième ville de Birmanie, lorsqu'il fut arrêté par d'autres officiers. Remis dans un avion à destination de Rangoun puis placé en détention, il n'a pas été vu en public depuis.

Dans la bonne tradition des régimes totalitaires, c'est de l'étranger qu'arriva la nouvelle, le lendemain. Des sources indiennes puis un porte-parole du gouvernement thaïlandais annoncèrent son arrestation "pour corruption". Le surlendemain, les médias officiels de Birmanie confirmèrent sa mise à l'écart, d'une manière plus anodine : le général, expliqua-t-on, avait été "autorisé à prendre sa retraite pour raisons de santé".

L'argument ne tint pas très longtemps, si tant est qu'il eût jamais convaincu qui que ce soit, ou alors les problèmes de santé de Khin Nyunt étaient fâcheusement contagieux, car une vaste purge suivit son arrestation. Le ministre des affaires étrangères, Win Aung, considéré comme un proche du général, fut aussitôt limogé, des centaines d'officiers du renseignement militaire arrêtés, interrogés, accusés de corruption et de divers délits économiques. Neuf mois plus tard, un tribunal spécial condamna Khin Nyunt, alors âgé de 65 ans, à quarante-quatre ans de prison, tandis que ses deux fils écopaient respectivement de cinquante et un et soixante-huit ans. Le sort de sa femme n'a jamais été précisé.

Peut-être vit-elle avec son mari, qui, par d'étranges égards, purge en fait sa peine chez lui, en résidence surveillée - une sorte de spécialité locale. Certains experts de la Birmanie croient savoir que c'est la Chine qui a pesé pour qu'il puisse bénéficier de ce traitement, normalement réservé aux filles de héros de l'indépendance. L'éviction du général Khin Nyunt et le durcissement qui a suivi ont, en tout cas, contribué à créer autour de son nom une aura de réformateur. Privés de visibilité et convaincus qu'une éventuelle ouverture en Birmanie ne se fera qu'à travers les militaires qui, avec près de 400 000 hommes, "ne sont plus un Etat dans l'Etat, mais plutôt une armée qui abrite un Etat", selon une boutade en vogue, d'autres experts en viennent à se poser la question : le général évincé aurait-il un rôle à jouer ?

Cette question, le professeur David Steinberg, de l'université de Georgetown, ne s'est pas privé de la poser au cours de son tout récent séjour en Birmanie, un pays qu'il connaît depuis longtemps et sur lequel il a écrit quatre livres. "Khin Nyunt est notre meilleur espoir", aurait répondu un général birman à un diplomate asiatique, qui l'a rapporté à M. Steinberg, qui nous l'a répété.

Qui est Khin Nyunt ? Il est toujours délicat, dans une dictature, d'apposer l'étiquette "réformateur" à un haut gradé qui a assis son pouvoir sur la police politique. On imagine sans trop de peine les méthodes sur lesquelles il s'est appuyé quand on sait qu'elles lui ont valu le surnom de "prince des ténèbres", même si Aung San Suu Kyi elle-même a trouvé le surnom "excessif". L'expression austère derrière ses lunettes, sur les photos d'archives, n'évoque pas l'avenir radieux. Il fut le premier à féliciter le pouvoir chinois après le massacre de Tiananmen, en 1989.

Mais le général a à son actif quelques lettres de noblesse qui, par rapport aux deux hiérarques qui l'ont écarté, lui donneraient presque des airs de Jaruzelski. C'est le général Khin Nyunt qui, entre 1989 et 1997, a négocié des accords de cessez-le-feu avec dix-sept groupes armés des minorités ethniques. C'est lui qui, plus ouvert aux relations avec le monde extérieur que ses congénères, a favorisé l'intégration de la Birmanie dans l'Asean, l'Association des nations d'Asie du Sud-Est, en 1997. C'est lui qui a lancé la "feuille de route en sept étapes vers la démocratie" dès sa nomination comme premier ministre, en 2003. Et c'est lui encore qui passe pour avoir été favorable à des contacts avec Aung San Suu Kyi. Est-ce pour ce pragmatisme politique qu'il est tombé, ou pour des rivalités d'intérêts avec d'autres branches de l'armée, puisque les militaires contrôlent aussi l'économie, formelle et informelle ? Impossible de le savoir avec certitude.

"C'est le plus intelligent du lot", affirme un ancien dirigeant asiatique, qui se souvient même avoir réussi à lui vendre "le modèle Suharto", du nom du général indonésien qui quitta l'uniforme, forma un parti politique et se fit élire président. Mais Suharto fut balayé par le mécontentement populaire en 1998, après la grande crise financière asiatique, et les généraux birmans firent machine arrière.

A près de 70 ans, Khin Nyunt peut-il encore incarner la relève ? Tout en scrutant les signes de division au sein de la junte, les opposants modérés birmans espèrent davantage, eux, des jeunes officiers, dont quelque 3 000 par an sortent de l'académie militaire, et qui ne portent pas les stigmates de la grave répression du mouvement étudiant de 1988. Il existe, en Asie, des exemples de passage du pouvoir militaire à un pouvoir civil démocratique, en Corée du Sud, en Thaïlande (où les militaires sont revenus). David Steinberg les a étudiés mais n'en retire pas beaucoup d'espoir pour la Birmanie. Contrairement à Suharto ou aux généraux sud-coréens, dit-il, "les militaires birmans ne font pas confiance aux économistes civils". Et, pour la première fois, il y a deux semaines, en Birmanie, il a entendu des gens dire "je hais les militaires", après avoir vu la répression s'abattre sur les moines bouddhistes. "C'est un tournant", ajoute-t-il. Son pronostic est sombre : "Je vois plus de violence, un niveau de vie en baisse, et un contrôle militaire encore plus fort."

Post-scriptum. Objectif Lune. Notre correspondant à Pékin, Bruno Philip, a souligné la ferveur patriotique qui a salué le lancement de la première sonde d'exploration chinoise vers la Lune, Chang'e, le 24 octobre. A Hongkong, le South China Morning Post a essayé de savoir ce qui attirait les Chinois sur la Lune, "une question qui n'a pas fait l'objet de débat public", note le quotidien. Le géologue Ouyang Ziyuan a répondu, sur le site Web de l'Académie des sciences : ce sont les ressources naturelles de la Lune qui intéressent Pékin, en particulier l'hélium-3, source d'énergie non radioactive très rare sur terre. Sept tonnes d'hélium-3 par an pourraient satisfaire les besoins énergétiques de la Chine, selon lui, et quelques allers-retours en navette spatiale suffiraient à les transporter.



Rubis de sang birmans
par Marc Roche
LE MONDE

Après le diamant, les pierres précieuses ? Malgré les appels au boycottage des rubis et des jades en provenance de Birmanie et les sanctions de l'Union européenne, les gemmes extraites de la région de Mogok continuent de circuler librement sur les marchés internationaux.

C'est pourquoi certains experts de la lutte contre les "diamants de sang" préconisent d'élargir aux pierres précieuses, voire semi-précieuses, le processus de Kimberley. Appuyé par l'ONU, ce programme a établi, en 2003, un système de certification assorti d'une série de contrôles et d'un suivi du diamant, de la mine à la bijouterie. Après tout, rubis, saphirs, émeraudes, mais aussi améthystes, topazes et turquoises sont aussi souvent les enjeux de guerres civiles sanglantes. Déstabilisant les pays producteurs, les filières des armes et des gemmes sont étroitement liées.

La Birmanie, dont le régime militaire a brutalement réprimé un mouvement de protestation populaire, produit 90 % des rubis de la planète. Le reste provient également de zones troublées, comme la Thaïlande, le Cambodge ou le Sri Lanka. Pour cette raison, l'ONG londonienne Global Witness, spécialisée dans les matières premières, étudie actuellement la possibilité de créer un label "ressources de conflit", internationalement reconnu, "afin de mettre en place une sonnette d'alarme permettant d'agir".

Reste que la certification des pierres précieuses pose problème. Ce marché n'est pas organisé : à l'inverse du diamant, contrôlé par le conglomérat sud-africain De Beers, négocié dans des bourses et des centres de taille, ce secteur est morcelé et dépourvu de toute transparence. "Le marché des rubis, émeraudes et saphirs est plus compliqué et plus subjectif que celui du diamant, car il n'existe pas de certificat internationalement reconnu qui détermine leur couleur et leur pureté", souligne François Curiel, responsable de la joaillerie chez Christie's. Ainsi, en chauffant un rubis, il est facile de dissimuler les imperfections permettant de déterminer son origine géographique.

En dépit de ses carences administratives et politiques, le processus de Kimberley est considéré comme un succès. Après avoir tenté de résister à la campagne de Global Witness, l'industrie diamantaire s'était jointe à cette bataille contre la contrebande de pierres de conflit.

En sera-t-il de même des grands bijoutiers, qui affirment aujourd'hui qu'ils respectent l'embargo sur les gemmes birmanes ? Rien n'est moins sûr. Ainsi, la confédération des syndicats britanniques, le TUC, a accusé récemment trois prestigieuses maisons londoniennes - Asprey, Harrods et Leviev - de continuer à vendre des pièces comprenant des "rubis de sang".

Marc Roche
Article paru dans l'édition du 30.10.07.